synthèse biographique et stylistique

Emilie Mayer

PARCOURS BIOGRAPHIQUE

Enfance et jeunesse à Friedland – 1812-1842 ca.

Née le 14 mai 1812 à Friedland, dans le duché de Mecklenbourg-Strelitz. Famille aisée : père pharmacien de la ville. Sa mère meurt en couches 1814.

A 5 ans, premières leçons avec l’instituteur local, organiste, Carl Heinrich Ernst Driver. Ses dons se révèlent, elle commence à composer très tôt : valses, cycles de variations.

Emilie reste dans sa ville natale jusqu’à la fin de sa vingtaine, probablement pour s’occuper de son père : en août 1840, ce dernier se suicide. En 1841 (au plus tard la première moitié de l’année 1842), elle s’installe à Stettin (aujourd’hui Szczecin en Pologne), capitale de la Poméranie (province du royaume de Prusse) ; son frère y est pharmacien depuis 1835.

Stettin : leçons avec Loewe, premières œuvres – 1842-1847

Stettin = ville très dynamique d’un point de vue économique et culturelle

La vie musicale de la ville est dominée par la figure de Carl Loewe (1796-1869 => contemporain de Schubert), Musikdirektor de Stettin depuis 1821 (NB. Schumann dit beaucoup de bien de Loewe). Mayer prend des leçons avec lui, il atteste de son talent inné.

Au contact de Loewe, qui a une intense activité de concertiste et de chef d’orchestre, Mayer découvre les grandes symphonies de Beethoven, Mendelsshon, Spohr ; mais aussi les oratorios de Bach, Haendel, Haydn.

Premières œuvres vocales : lieder d’abord (Erlkönig en 1842), qui sont vraisemblablement interprétés en privé dans les salons. Puis un Singspiel, Die Discherin, qui incorpore une version orchestrée de son lied Erlkönig.

Premières œuvres orchestrales : les deux premières symphonies, composées à Stettin et probablement interprétées par la Société de Concerts locale.

Berlin (1848-1862)

Probablement sur la recommandation de Loewe, Mayer s’installe à Berlin, pour compléter ses études auprès d’Adolf Bernhard Marx (1795-1866). Marx et Loewe se connaissent très bien (ils ont grandi tous deux à Halle, ont été élèves de Türk).

A. B. Marx est alors considéré comme le théoricien et le professeur le plus renommé de la sphère germanique : traité fondamental en 4 volumes, Lehre von der musikalischen Komposition (1837-1847) (NB. C’est lui qui le premier théorise la forme sonate au sens moderne)
Mayer prend aussi des leçons d’orchestration avec Wielhelm Wieprecht (1802-1872), Generaldirektor de la musique militaire prussienne.

1847-1848 : publication des recueils de lieder op. 5 à 7.

4 mars 1847, éloges du critique Ludwig Rellstab dans le Vossischen Zeitung (journal tiré à 40 000 exemplaires !) : « le nombre des compositeurs est grand, et celui des compositeur ne l’est pas moins. Mais jusqu’ici, il est rare qu’une dame écrive de grandes œuvres musicales. Nous pouvons attirer l’attention du monde musical sur une compositrice, Mademoiselle Emilie Mayer, une élève de Lozwe, qui a déjà écrit deux symphonies en do mineur et mi mineur, qui ont été exécutées à Stettin par la Société des Concerts avec grand succès »

Mayer organise des concerts privés chez elle, au cours desquels elle joue ses propres œuvres au piano. 2 de ses ouvertures sont jouées au cours de la saison 1848-1849, puis un quatuor à cordes en décembre 1849. En juillet

Véritables débuts berlinois : 21 avril 1850, création de la Symphonie n° 3 « militaire », une ouverture, son 6e quatuor et un extrait de son Psaume 110 .
Accueil très positif de Rellstab, critique globalement positive, mais la plupart des compte-rendu sont toujours tintée de misogynie et de lecture au prisme de l’opposition des sexes (comme Farrenc) :
« Sonder les mystères les plus profonds de l’art requiert de tout autres capacités et un esprit supérieur, cela va sans dire. Ce dont sont capables les forces féminines – forces de second ordre –, voici ce qu’Emilie Mayer a réalisé et exprimé. (Flodoard Geyer, critique du concert dans la Neue Berliner Musikzeitung)

En 1850, Mayer s’installe au Markgrafenstraße 72 ; dans les registres d’adresse, elle est mentionnée comme « compositrice » (Componistin) ; c’est également ce qu’elle aurait fait elle-même figurer sur sa sonnette.

16 mars 1851, création de la 4e symphonie, en si mineur, au Konzerthaus (publiée version piano 4 mains en 1860) => l’Inachevée de Schubert ne sera révélée qu’en 1865, Mayer est donc tenue pour la première à avoir écrite une symphonie dans cette tonalité à l’époque

1852, création de la symphonie no 4 en ré majeur, perdue (Konzerthaus)
1853, Symphonie no 5 en mi majeur (Konzerthaus), en présence de la famille royale de Prusse
1855 : plusieurs concerts à Leipzig, Munich, Bruxelles (Quatuor en si majeur, Trio en mi bémol)
1856 : Quatuor en la majeur ; Trio en mi bémol joué à Munich (elle devient membre suite à cette création ; première femme à recevoir cet honneur)

Au début de l’année 1856, voyage de trois mois à Vienne avec son frère. Mayer part avec une lettre de recommandation de la reine de Prusse pour l’archiduchesse Sophie (NB. La fameuse belle-mère de Sissi). Elle présente son Trio en ré mineur à la cour (concert privé lors d’une réception). Elle ne parvient à organiser aucun concert public.

Dès la seconde moitié / fin des années 1850, sa carrière décline peu à peu. Elle continue à organiser des concerts pour présenter ses œuvres à Berlin, mais avec une fréquence moindre. Par ex, ses deux dernières symphonies, composées en 1857, ne seront créés qu’en 1862.

À partir de 1857, elle passe moins de temps à Berlin, et part faire des séjours assez longs auprès de sa famille : Halle an der Saal en août 1857, Stettin en 1858, Pasewalk en janvier 1860 (elle y organise un concert caritatif : Trio en mi mineur, op. 12), de nouveau Stettin au printemps 1860.

1860 elle présente son Trio op. 12 au concours de la Deutsche Tonhalle de Mannheim : elle ne remporte pas le prix mais reçoit les « félicitations spéciales » du jury, composé entre autres de Fr. Lachner et Ferdinand Hiller et Ferdinand David.

En 1861, l’éditeur Carl von Lebedur annonce qu’elle devient co-directrice de la Opernakademie de Berlin. Attention, contrairement à ce qu’on peut beaucoup lire sur internet, ce n’est du tout l’opéra de Berlin, mais une association privée, qui forme de jeunes chanteurs et acteurs, fondée par le compositeur et philosophe Hermann Zopff. Mayer le connaît bien car lui aussi a été élève de Marx dans les années 1850 ; on ne sait pas si cette nomination est honorifique ou si elle impliquait une charge d’enseignement. Elle n’est jamais mentionnée dans les nécrologies de Mayer (au contraire de l’Association Philharmonique de Munich) et semble avoir été assez anecdotique…

En 1862, création à Berlin de ses deux dernières symphonies : fa mineur, et fa majeur (perdue).

Dernières années – Stettin (1862-1875) puis Berlin (1875-1883)

En 1862, Mayer s’installe à Stettin, chez son frère. Elle se tourne plus vers la musique de chambre (mais délaisse le quatuor à cordes) et les pièces pour piano : Sonate pour violon et piano op. 17 (crée à Berlin en 1863). Elle séjourne fréquemment et longtemps chez sa sœur à Pasewalk

En 1875, elle s’établit de nouveau à Berlin, Königgrätzerstraße 20.

Publication en octobre 1880 de la Faust Ouverture, op. 46 (conducteur et parties), interprété à plusieurs reprises en 1880.

1882, publication des Six Pièces pour piano pour la jeunesse, op. 48

10 mai 1883, mort d’Emilie Mayer à Berlin, d’une pneumonie.

QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Singularités de Mayer :

Carrière tardive (entamée réellement à 28 ans) mais très assumée et affirmée de compositrice.

Reconnaissance réelle de ses pairs, succès critique certain, mais échec d’un point de vue de la diffusion de la musique : difficulté éditoriale insurmontable, une seule de ses symphonies est éditée et seulement en réduction 4 mains. Sa musique tombe très rapidement dans l’oubli, peut-être aussi en l’absence d’une descendance directe qui la défende suffisamment (argument avancé par la musicologue Runge Woll)

Situation personnelle très particulière : aisance financière grâce à l’héritage du père, et célibat. Sur cette question, difficile de savoir s’il s’agit d’un choix délibéré ou non : autant Farrenc trouve chez son époux un réel soutien, autant pour Fanny Hensel le mariage signe la fin de toute prétention professionnelle ; ce à quoi s’ajoute la situation plus nuancée de Clara Wieck-Schumann, mais dont le sacrifice créatif pour laisser la place à son époux est réel.

Sur sa personnalité :

Anticonformisme souligné par les contemporains
L’écrivain Marie Schilling (amie de sa nièce) la décrit en 1862 comme « loin de toute attitude de représentation, une personnalité décontractée, qui ne respectait pas forcément les conventions ; elle était distraite et attachait donc les objets importants à ses vêtements, que ce soit un parapluie ou des lunettes. Lors d’événements festifs, Emilie Mayer apparaissait parfois sans chapeau – impossible pour une dame – et s’amusait de l’effarement des personnes présentes. »

On la décrit comme sculptrice mais c’est un peu plus compliqué : Mayer pratique comme hobby la sculpture sur… mie de pain ! – Non sans talent, semble-t-il…
« Lors des longs déjeuners, elle se mettait à pétrir et à façonner la mie de pain et, à l’aide d’une paire de ciseaux et d’une aiguille, son inlassable et tenace application, et ses mains habiles, dont la petitesse était souvent louée, parvinrent à faire naître de cette matière unique des œuvres qui suscitaient une grande admiration. »
Mayer fait parvenir à la grande duchesse de Mecklenburg un vase style Pompéi en mie de pain ; la grande duchesse répond par une lettre de remerciement et l’envoi d’une tasse en or. Elle soumet une autre œuvre au Roi de Saxe (qui l’expose dans la Voûte verte de Dresde), puis une coupe en mie de pain à la Reine de Prusse, qui lui octroie une médaille d’or.

totale dévotion à sa vocation de compositrice :
« Elle a fait de la musique son métier, la considérant comme une compagne de vie, comme l’idéal : de son amour, de sa foi, de son espoir ! C’est ainsi qu’elle remplissait toute son existence ». « Une nature tranquille et inoffensive, résolument à part et artistiquement satisfaite d’elle… » écrit l’écrivain Elisabeth Sangalli-Marr en 1877

Trajectoire de l’œuvre comparable à celle de Farrenc :

D’abord les grands genres, soit la symphonie, l’ouverture et le quatuor à cordes ; puis un retour aux pièces de genre, au piano à la fin de sa vie. Peut-être faut y lire une volonté d’affirmation : s’emparer dès le début, brillamment, des genres sérieux et « masculins » (aux hommes la fugue, la symphonie et le quatuor, aux femmes les lieder ; aux hommes l’orchestre, aux femmes la voix et le piano, écrit la critique à l’époque) pour faire ses preuves ? Puis peut-être un certain découragement ou en tout cas la volonté de revenir à des formes et des genres plus simples, qui coïncide avec son départ de Berlin et son progressif retrait de la vie publique.

Ce qui frappe beaucoup les contemporains, c’est sa productivité : une œuvre très dense, 8 symphonies écrites en 10 ans…

PARCOURS STYLITIQUE

On peut distinguer 3 grandes périodes :

Milieu des années 1840 – milieu des années 1850 : symphonies, ouvertures, quatuors à cordes (grands genres prestigieux)
Milieu des années 1850 – fin des années 1850 : phase de transition, quatuors et trios avec piano
Fin des années 1850 à sa mort (1883) : sonates pour violon et violoncelle, danses et pièces de genre pour piano

QUELQUES ÉLÉMENTS SUR LE STYLE SYMPHONIQUE

L’œuvre symphonique de Mayer émerge dans un moment de crise : entre 1850 et 1875, soit entre la 3e de Schumann et les symphonies de Brahms et Bruckner ; période marqué par « un conflit entre la nouvelle expression romantique et les anciennes formes classiques » (Dalhaus). Le parcours de sa production montre le montre bien : dans la 1re symphonie, c’est l’orchestre classique avec bois par 2 qui est requis – les trombones n’arriveront que dans la 2e ; et le 3e mouvement est encore un Menuetto (Scherzo systématique par la suite).

La critique de l’époque note une trajectoire qui part des classiques (Haydn, Mozart) pour intégrer l’héritage beethovénien. Mayer le dépasse-t-elle vraiment ? C’est peut-être aussi cet aspect encore teintée de classicisme, pas vraiment révolutionnaire, qui lui attire la sympathie d’une partie de la critique plus réactionnaire (au premier rang de laquelle Rellstab), alors que bientôt surgira le débat esthétique opposant la Neudeutscheschule de Liszt au classicisme de Brahms.

Autres ressources associées

Contenu lié

Franz Schubert / Emilie Mayer

Insula orchestra propose un voyage dans les terres romantiques allemandes. Si Franz Schubert y occupe...

Ouverture du Pavillon du Diable

Symphonie n° 1 en do mineur

Schubert, Symphonie n° 4, « La Tragique »

Emilie Mayer, Symphonie n° 1

Vous aimerez aussi

Dans le même thème

Productions

Ouverture du Pavillon du Diable

Schubert, Symphonie n° 4, « La Tragique »