Sonate en la mineur, D. 845
Les clés de l'œuvre
Date et lieu
Vienne, printemps 1826
Époque
Romantique
Taille
40 minutes environ
Dimensions
Piano seul
Signe distinctif
Le fatalisme du discours, teinté d’un espoir fragile.
Ce que nous aimons
La fluidité, la poésie avec laquelle les émotions les plus sombres se fondent dans un sourire passager, onirique.
Nous vous conseillons
Les trois dernières sonates, D. 958, 959 et 960 ; les deux derniers quatuors, D. 810 (La Jeune Fille et la Mort) et D. 887.
Les sonates de Schubert adviennent. Il y a une naïveté désarmante dans la manière dont elles adviennent.
Schubert a vingt-cinq ans lorsqu’apparaissent les premiers symptômes de la maladie qui l’emportera en quelques années – la syphilis, selon toute vraisemblance.
Comme si la vie reniait ses promesses au prodige viennois, déjà compositeur de cinq messes, six symphonies, une douzaine d’œuvres scéniques et une quinzaine de quatuors, sans compter plusieurs centaines de mélodies vocales – les fameux Lieder.
Même le succès matériel a quelque chose d’ironique pour celui qui touche désormais cinq fois les revenus d’un professeur – métier de son père et de ses frères, auquel il a lui-même renoncé pour se vouer à son art.
L’aurore fulgurante mène droit au crépuscule. Schubert entre dans la fleur de l’âge sous le signe de la mort.
Sa santé le fait renoncer à la société mondaine où son renom commençait à croître, où les occasions d’être joué se multipliaient.
Les sonates pour piano seul, anodines jusqu’alors dans son œuvre, acquièrent dans cette retraite un poids inouï. Une série de chefs-d’œuvre voit le jour dans les six dernières années de sa vie – où le clavier suggère des voix, un orchestre, un drame –, sans jamais accéder au théâtre.
L’instrument semble un écho du dehors ou du dedans, plutôt qu’une fin en soi : Schubert ne possédera d’ailleurs jamais son propre piano.
The Angel
William Baxter Closson - Artvee
En ce printemps de 1826 où naît la grande Sonate en la mineur, D. 845, il emprunte celui du peintre Wilhelm August Rieder, dans cette Vienne dont il ne se sera éloigné que de deux cents kilomètres à peine au cours de son existence.
Malgré le répit temporaire que lui accorde la maladie, la tonalité ne laisse aucun doute. L’œuvre s’ouvre sur une phrase à l’unisson des deux mains, qui tombe avec la fragilité des feuilles d’automne – le pianiste Alfred Brendel y entend la voix d’un narrateur.
Suit un thème aux allures de marche résignée, contrasté seulement par sa propre reprise dans un ton plus lumineux : promesse de victoire dans l’éternité peut-être ; de repos dans ce monde, guère. Au fil du mouvement, Schubert joue sur la noirceur des graves et l’éther des aigus, la densité de la texture, les extrêmes de l’intensité, suggérant à la fois le poids et la volatilité du destin.
Le second mouvement présente un air populaire dont les variations successives, passant par tous les éclairages et bouleversements rythmiques, désintègrent peu à peu l’optimisme premier.
Le troisième, scherzo aux appuis haletants, aux accents endiablés, suspend sa course à l’abîme dans la partie centrale, danse céleste où la simplicité paysanne du ländler devient image du paradis.
Par son élan léger et son atmosphère hivernale, le finale semble une dernière traversée, tantôt contrariée par les duretés du chemin, tantôt illuminée d’un rayon ineffable.
Luca Dupont-Spirio
Vous aimerez aussi
Dans le même thème