La Nuit des Rois
Vous avez aimé Game of Thrones ? Vous aimerez La Nuit des Rois ! Dans ce concert en forme de thriller politique autour de deux des ultimes ballades de Schumann, il est question de rois et de reines, d’amour, de malédiction et de meurtres. Auteur de la bande dessinée Quai d’Orsay et réalisateur du film Le Chant du loup, Antonin Baudry met en scène un univers romanesque qui se déploie dans plusieurs dimensions sur le plateau et en vidéo. Avec accentus et Insula orchestra, Laurence Equilbey redonne vie à ces pièces méconnues de Schumann.
Les ballades de Robert Schumann
Portrait de Robert Schumann
Austrian National Library
Si l’un des enjeux du romantisme est de faire voler en éclat les cadres pour créer un espace d’expression profondément personnel, alors Robert Schumann peut être considéré comme un romantique parmi les romantiques. Au piano, il a délaissé le genre conventionnel de la sonate au profit de véritables albums de miniatures musicales (Scènes d’enfants, Carnaval, Papillons…) dont la poésie s’exprime tant par les titres que par la liberté de durée et de forme. Il en va de même dans sa musique symphonique et vocale.
À l’origine, la ballade est un genre littéraire dans lequel Johann Gottfried von Herder, Johann Wolfgang von Goethe ou encore Ludwig Uhland se sont illustrés. Mis en musique pour voix et piano, ces textes ont nourri le Lied allemand. Schumann, lui, en a fait de grandes fresques pour voix solistes, chœur et orchestre; si le traitement d’une intrigue et la présence de personnages évoquent l’opéra, le format est bien plus court (de l’ordre de trente minutes). La ballade schumanienne est à l’opéra ce que la nouvelle est au roman. Et l’absence de conventions ou cadre prédéfini laisse au compositeur toute latitude dans le choix des textes, la dramaturgie, l’orchestration…
Ses quatre grandes ballades ont été composées en 1852. Deux ans plus tôt les époux Schumann s’étaient installés à Düsseldorf où Robert venait d’être engagé comme Generalmusikdirektor, un poste prestigieux cumulant direction d’orchestre et composition. Pourtant, les difficultés se sont vite accumulées : peu apte à la direction, souffrant déjà de graves troubles psychiques (schizophrénie, hallucinations auditives…), Schumann dut renoncer peu à peu à ses fonctions de chef jusqu’à démissionner. En 1854, au comble du désespoir, il se jeta dans le Rhin, d’où il fut repêché ; c’est en asile psychiatrique qu’il finira ses jours.
Après Le Fils du Roi et La Fortune d’Edenhall, Schumann a livré ses deux ballades les plus abouties. La Malédiction du chanteur et Le page et la fille du roi projettent le thème de l’autoritarisme à travers un Moyen Âge haut en couleurs, à la limite du merveilleux.
Yann Breton
Les œuvres du programme
Geibel traite de la liberté d’aimer au-delà des différences sociales, un thème qui touche Schumann pour des raisons personnelles et politiques.
Le Page et la fille du roi
Dans Le Page et la fille du roi, le crime royal est le nœud de l’intrigue. Schumann divise l’œuvre en quatre petites ballades, chacune dotée d’une « couleur » spécifique : chasse et badinage dans la première, noirceur dans la seconde, légèreté et magie dans la troisième, dans la dernière enfin l’allégresse… puis l’abattement.
Schumann choisit et adapte un texte d’Emmanuel Geibel marqué par les idéaux de la Révolution française, auxquels font écho les troubles révolutionnaires de l’Allemagne du milieu du XIXe siècle. Geibel traite de la liberté d’aimer au-delà des différences sociales, un thème qui touche Schumann pour des raisons personnelles et politiques.
Composée en seulement quelques jours, l’œuvre fut créée le 2 décembre 1852, sans grand succès ; c’était, du reste, la seule œuvre du concert que Schumann fut autorisée à diriger.
Comme si, à travers sa musique, Schumann cherchait le pouvoir de maîtriser et apaiser ses maux et ceux du monde qui l’entoure.
Nachtlied
Empreint d’une atmosphère onirique, le Nachtlied – composé sur un poème de Friedrich Hebbel – traite moins du sommeil que de la quête de la paix intérieure. Dès les premières mesures, les altos (puis les basses) présentent un motif hésitant, frémissant, tel une étincelle de vie qui émerge des profondeurs du grave.
Tout l’enjeu de cette pièce est là : nourrir cette étincelle, atteindre le sommet de l’agitation et du sublime (« Je sens naître en moi une vie immense, qui s’élève et réprime la mienne »), sommet auquel succède une longue phase d’apaisement, résolution de la tension initiale, qui se perd dans les pizzicati des cordes et une ultime vocalise des instruments à vent.
Comme si, à travers sa musique, Schumann cherchait le pouvoir de maîtriser et apaiser ses maux et ceux du monde qui l’entoure.
La thématique – transcender la mort et l’obscurité – […] donne à cette œuvre une portée initiatique, si ce n’est maçonnique.
Requiem pour Mignon
Le Requiem pour Mignon et le Nachtlied (« Chant de la nuit ») témoignent d’une autre période troublée de la vie de Schumann, marqué par la brutalité des répressions politiques de 1849 à Dresde.
S’inspirant du Wilhelm Meister de Goethe, Schumann tire un dyptique du personnage de Mignon – une très jeune orpheline habillée en garçon : l’opus 98a contient neuf Lieder (mélodies pour voix et piano), tandis que l’opus 98b présente l’épisode dramatique des obsèques de Mignon avec solistes, chœur, orchestre.
La thématique – transcender la mort et l’obscurité – ainsi que le traitement musical (rythmes de procession, importance des trombones, présence d’un « maître de cérémonie » incarné par la basse soliste…) donnent à cette œuvre une portée initiatique, si ce n’est maçonnique.
Dans le roman, Goethe avait décrit quatre enfants et un chœur invisible qui se répondent en antiphonie ; ce que Schumann a matérialisé par l’opposition entre les jeunes solistes face au chœur, lui, est conçu davantage comme une présence spirituelle plutôt qu’une apparition concrète.
Yann Breton
Projet artistique
Solistes
Le Page, le Jeune Homme (ténor) – Ric Furman
La Narratrice (alto) – Anna Lucia Richter
Le Harpiste, le Triton (baryton) – Alexandre Duhamel
Le Roi (basse) – Rafał Pawnuk
La Reine (soprano) – Marie-Adeline Henry
La Princesse (soprano) – Adèle Clermont
Ensembles
accentus
Insula orchestra
Direction
Laurence Equilbey
Mise en scène
Antonin Baudry
Sur fond de châteaux inquiétants […], des meurtres sont commis auxquels répondent des apparitions fantastiques et des malédictions implacables.
Antonin Baudry, ancien diplomate, auteur de la bande-dessinée Quai d’Orsay et réalisateur du film Le Chant du loup, a utilisé la trame narrative des œuvres de Schumann pour concevoir une mise en scène qui accorde une large place à la vidéo avec un univers visuel et des costumes qui évoquent le Moyen-Âge (époque à laquelle se déroule les deux ballades Le Page et la fille du roi et La malédiction du chanteur) tout autant que la période romantique (époque à laquelle elles ont été composées par Schumann).
Des deux ballades jusqu’au Chant de la nuit qui clôt le spectacle dans une sorte d’apesanteur poétique, se déploient des images vidéo sur un tulle géant, devant et derrière lequel jouent les différents personnages (page, narratrice, roi, reine, princesse…).
Nuit des rois
Très inspiré par la force poétique et romanesque des œuvres de Schumann, le metteur en scène interroge la place de la musique et de l’art face au pouvoir politique. Les vidéos nous plongent dans un univers proche du rêve, inspiré de l’enfance et des contes. Antonin Baudry écrit : « Sur fond de châteaux inquiétants se détachant sur des reliefs escarpés et de mers déchaînées, des serments d’amour sont murmurés, des jalousies explosent, des meurtres sont commis auxquels répondent des apparitions fantastiques et des malédictions implacables ».
L’orchestre est placé sur scène, comme un protagoniste de l’histoire, au même titre que les chanteurs du chœur qui se déploient à divers endroits de la salle au fil du spectacle.
Note d'intention - Antonin Baudry
La Nuit des Rois - La Seine Musicale
Julien Benhamou, 2021
Quel est votre rapport à la musique classique ?
La musique m’accompagne tout le temps et partout. Je ne peux pas travailler sans musique. Je ne peux pas faire de sport sans musique. Je ne peux pas réfléchir sans musique. Elle est soit dans l’air, soit dans ma tête, mais elle est toujours là. Je ne fais pas de différence entre musique classique et pas classique, je ne compartimente pas.
Je sais juste de quelle musique j’ai besoin à quel moment pour m’accompagner, pour être heureux, pour viser juste. Dans les quatre œuvres de La Nuit des Rois, il y a une telle variété d’humeur, d’énergie, de ton que je peux toujours trouver celle qu’il me faut – pas la peine de chercher d’ailleurs, c’est celle qui me reste en tête : cela va de la mélancolie la plus profonde à l’énergie la plus libre, de la tension qui précède un meurtre au picaresque provençal, du contemplatif au politique, de la tristesse du deuil à la douceur de l’enfance.
C’est ce qui me permet de vivre pendant des semaines et des semaines avec ces œuvres, sans avoir besoin – pour l’instant ! – d’aller voir ailleurs…
Je savais que ça n’avait aucune chance d’arriver, mais c’était une envie libre qui s’exprimait sous forme de plaisanterie.
Comment est né le projet de La Nuit des Rois ?
Ha ! C’est assez incroyable. J’étais en train de traverser le pont de Brooklyn avec mes deux meilleurs amis américains. On ne s’était pas vus depuis longtemps à cause de la fabrication de mon premier film qui était en salle à ce moment-là, ils me demandaient ce que j’allais faire à présent – quand nous nous étions connus j’étais diplomate, quand nous nous sommes retrouvés j’avais quitté la diplomatie pour faire mon film.
Je leur ai parlé de mon nouveau projet de film, et puis tout d’un coup je leur ai dit que j’allais aussi faire un spectacle lyrique. Je savais que ça n’avait aucune chance d’arriver, mais c’était une envie libre qui s’exprimait sous forme de plaisanterie. Ils se sont regardés un peu perplexes, puis ils ont compris que c’était une blague.
En rentrant à la maison après la balade sur le pont, j’ouvre mes emails. Laurence Equilbey : « Cher Antonin Baudry, j’aime beaucoup votre travail et j’ai pensé vous proposer un projet lyrique à mettre en scène à La Seine Musicale sur l’Île Seguin ». Mes deux amis ne m’ont jamais cru quand je leur ai dit que je n’avais pas vu cet email avant le pont de Brooklyn. Et pourtant c’est la réalité.
Replay - Schumann, La Nuit des Rois
2021
La Nuit des Rois - La Seine Musicale
Julien Benhamou, 2021
Quel est le fil conducteur de votre mise en scène ?
La Nuit des Rois, c’est avant tout un conte, « il était une fois… ». Un page amoureux d’une princesse sous les yeux jaloux du roi, donc un meurtre, etc. Ma mise en scène vise à créer cet univers de conte.
Mais au lieu d’effacer l’univers réel qui le sous-tend, les deux s’entremêlent : l’orchestre fait partie de l’univers du récit, les personnages incarnés par les solistes passent dans des images projetées sur un tulle, les univers se superposent comme dans un rêve. L’unité de tout cela, c’est la musique.
Elle est à la fois souffle des personnages, source de l’énergie, et nœud du drame : quand deux être s’affrontent, et que l’un est musicien et l’autre roi, que se passe-t-il ? Comment cela finit-il ?
Pratique d’exécution
Schumann, Nachtlied
Choeur SATB / 2.2.2.2 / 2.2.1.0 / Timb. / Cordes (9.8.6.5.3)
Schumann, Requiem für Mignon
Solistes SSAAB / Choeur SATB / 2.2.2.2 / 2.2.3.0 / Timb. / Hp. / Cordes (9.8.6.5.3)
Schumann, Vom Pagen und der Königstochter
Solistes SABB / Choeur SATB / 2+Picc.2.2.2 / 4.2.3.0 / Timb. / Hp. / Cordes (9.8.6.5.3)
Schumann, Des Sängers Fluch
Solistes SATBarB / Choeur SATB / 2+Picc.3.2.2 / 4.2.3.1 / Timb. / Hp. / Cordes (9.8.6.5.3)
Diapason
438 Hz
Nomenclature – Mode d’emploi
Boulogne-Billancourt
Auditorium de La Seine Musicale
Disposition de l’orchestre – Plan de scène
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Bibliothèque
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