Ultimes Ballades
Le Chant du cygne
Au seuil de la folie
Last Theme of Robert Schumann
Henri Fantin-Latour - Artvee
Lorsqu’il finit par accepter le poste de Musikdirector à Düsseldorf en 1850, Robert Schumann voit dans ce dernier déménagement un funeste présage: non loin de la ville se trouve un asile d’aliénés, et la crainte de côtoyer ainsi l’angoisse de la folie qui le ronge depuis sa jeunesse le fait longuement hésiter. En 1833, à vingt-trois ans, il écrivait dans son journal:« Dans la nuit du 17 au 18 octobre, il me vint tout à coup la plus effroyable pensée qu’un homme puisse avoir, et la plus terrible par laquelle le Ciel puisse punir : LA PENSEE QUE JE PERDRAIS LA RAISON…». Cette brutale révélation allait s’avérer prémonitoire. Sans doute attiré par son tragique destin, Schumann quitte Dresde pour Düsseldorf où il donnera inévitablement allégeance à la prémonition de sa jeunesse. Parce qu’il se considère comme un danger pour sa famille, il se jette dans le Rhin, et cet acte désespéré le conduit durant les deux dernières années de sa vie à l’internement qu’il avait tant redouté.
Pour autant, il ne semble pas que le déclin croissant de sa raison ait entamé son instinct de création. Les six années qui précèdent sa mort, Schumann accroît entre autres son répertoire d’une Troisième Symphonie, d’un Concerto pour violoncelle, et compose le dernier pan de sa musique de chambre. Mais en marge de ces créations instrumentales, c’est l’opéra qui occupe l’esprit de Schumann. Rendu maître du lied après la prolifique année 1840, il souhaite désormais l’élargir à la scène. La décevante création de Genoveva en 1850 le fait renoncer à ses ambitions scéniques, et cela d’autant plus que la conception matérielle d’un opéra (décors, costumes, mise en scène…) le rebute. Il ne se bornera plus qu’à composer de vastes ouvertures sur des livrets dramatiques qui le fascinent. Mais cette frustration d’un opéra manqué ne devait pas tarir l’inspiration du musicien. Dans leur journal commun, Clara Schumann écrit : « Je m’étonne toujours de la puissance créatrice de Robert, sans cesse renouvelée dans la mélodie et l’harmonie comme dans la forme. Robert poursuit irrésistiblement son œuvre. » Pouvant compter sur les ressources de son génie, il trouve dans d’autres genres musicaux comme l’oratorio, la ballade ou de nouveaux cycles de lieder, l’expression de son idéal d’opéra.
Des Sängers Fluch [La Malédiction du chanteur] op. 139
Composition
1852
Création
28 février 1857, à Elberfeld, sous la direction de H. Schornstein.
Publication
1858
Effectif
Solistes (la narratrice, alto ; le harpiste, baryton ; le jeune homme, ténor ; la reine, soprano ; le roi, baryton) – chœur, orchestre
Durée
Environ 37 minutes
La Malédiction du chanteur est la plus longue des quatre ballades composées par Schumann. Elle s’appuie sur un poème de Ludwig Uhland, que Schumann élargit en proposant un intéressant jeu de miroirs entre l’histoire « réelle » et l’histoire contée par le jeune chanteur.
On y retrouve les obsessions schumanniennes sous la forme de meurtres symboliques (celui du roi par le ménestrel, celui du ménestrel par le roi), d’amours impossibles (entre la reine et le jeune chanteur) et d’anathèmes (la malédiction finale du roi par le vieux harpiste).
Des Sängers Fluch
Carl Canow - Wikimedia Commons
L’œuvre se déroule en un flot continu, les transitions subtiles n’empêchant en rien des contrastes expressifs marqués. Violence du roi, simplicité́ de la Chanson provençale, sonorités funèbres, chant de liberté́ où l’on retrouve les préoccupations que Schumann partage avec Beethoven. Le chœur comment l’action, tantôt avec panache, tantôt traversé d’angoisses, forment quelques-uns des jalons de cette partition à la riche orchestration et à l’harmonie très colorée.
Vom Pagen und der Königstochter [Le Page et la Fille du roi] op. 140
Composition
1852
Création
2 décembre 1852, à Düsseldorf, sous la direction du compositeur.
Effectif
Solistes (le narrateur, alto ; le page, ténor ; la princesse, soprano ; le roi, basse ; la reine, soprano ; le triton, basse) , chœur, orchestre
Durée
Environ 33 minutes.
Dans Le Page et la fille du roi, le crime royal est le nœud de l’intrigue. Robert Schumann divise l’œuvre en quatre petites ballades, chacune dotée d’une « couleur » spécifique : chasse et badinage dans la première, noirceur dans la seconde, légèreté et magie dans la troisième, dans la dernière enfin l’allégresse… puis l’abattement. Robert Schumann choisit et adapte un texte d’Emmanuel Geibel marqué par les idéaux de la Révolution française, auxquels font écho les troubles révolutionnaires de l’Allemagne du milieu du XIXe siècle. Emmanuel Geibel traite de la liberté d’aimer au-delà des différences sociales, un thème qui touche Robert Schumann pour des raisons personnelles et politiques. Composée en seulement quelques jours, l’œuvre fut créée le 2 décembre 1852, sans grand succès ; c’était, du reste, la seule œuvre du concert que Robert Schumann fut autorisée à diriger.
Schumann retrouve dans cette ballade ses vieux fantômes : l’amour impossible (cette fois ci, entre le page et la fille du roi, qui s’unissent musicalement dans un chant d’amour sur fond de chasse), la vengeance paternelle (le roi découvre la vérité; ivre de courroux, il passe le page au fil de l’épée avant de le jeter dans la mer). La troisième partie est l’occasion d’un détour dans le monde féerique des nymphes aquatiques dont Wagner fera grand usage, et du triton ; celui-ci forge, avec les os blanchis du page, la harpe magique qui sèmera la désolation à la fin de l’œuvre. C’est en effet à une nouvelle noce tragique (un thème de prédilection dans le monde vocal de Schumann) que nous convoque la fin de l’œuvre: d’abord apparemment festive, l’atmosphère devient de plus en plus pesante au fur et à mesure que le crime du roi apparaît au grand jour. « Dans la salle la mariée repose inanimée, car le chagrin lui a brisé le cœur; une aube triste et grise se répand par la fenêtre, et la harpe du triton est silencieuse ».
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