Chapitres
Double orchestre
Neuvième symphonie
de Beethoven
Insula orchestra a mené une expérience de grande envergure : à chaque mouvement de la symphonie, les musiciens adoptent une nouvelle disposition d’orchestre. Découvrez dans cette note explicative les détails de cette expérience inédite, menée par Insula orchestra et son musicologue et chargé de recherches, Yann Breton.
Introduction
Insula orchestra
Julien Benhamou - 2020
Pour célébrer les 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven, Insula orchestra et accentus interprètent sa célèbre Neuvième symphonie.
À cette occasion, Insula orchestra prolonge à grande échelle l’expérience menée il y a deux ans sur les dispositions historiques : ainsi, chaque mouvement de la Symphonie n° 9 est enregistré dans une disposition différente.
Les effectifs des bois et des trompettes sont également doublés ; une pratique déjà courante au XIXe siècle.
Cette note présente les sources historiques de cette expérience, ainsi que des détails pratiques pour leur réalisation.
Contexte historique
Interior View of Westminster Abbey on the Commemoration of Handel
Edward Edwards - Wikimedia Commons
S’inspirant des festivals anglais (notamment les Commemoration Festivals dédiés à Haendel), ces événements sont basés sur l’interprétation d’un grand oratorio.
La pratique du solo/ripieno et les orchestres de festival
Au début du XIXe siècle, Beethoven disposait en général d’effectifs assez restreints pour l’interprétation de ses symphonies.
À titre d’exemple, l’orchestre réuni par le prince Lobkowitz en 1805 pour créer la Symphonie n°3 comptait entre 32 et 37 musiciens seulement.
Ce qui n’empêchait pas d’avoir recours, quelquefois, à des effectifs renforcés : en 1824, l’orchestre qui a créé la Symphonie n°9 comptait 80 musiciens, avec bois doublés. Cette configuration est assez courante dans les orchestres de cette époque, et les niveaux sonores perçus en concert étaient plus élevés qu’aujourd’hui sur ce répertoire.
En parallèle, les festivals connaissaient un essor formidable dans le monde germanique. S’inspirant des festivals anglais (notamment les Commemoration Festivals dédiés à Haendel), ces événements sont basés sur l’interprétation d’un grand oratorio, autour duquel s’agrège un programme hétérogène comprenant des œuvres symphoniques (ouvertures, symphonies), des chœurs, des pièces concertantes et des extraits d’opéras ou d’oratorios.
À partir des années 1810, les symphonies de Beethoven y figurent presque systématiquement et contribuent à diffuser le répertoire dans ce qui deviendra, quelques décennies plus tard, l’Empire allemand.
Les festivals se donnaient pour but de réunir le maximum de musiciens parmi lesquels des professionnels, mais souvent aussi un grand nombre de musiciens amateurs désireux de se joindre à cette célébration.
Cette configuration a deux conséquences : d’une part, les effectifs impliqués sont très importants et atteignent régulièrement 130 instrumentistes (avec des pupitres de vents doublés, voire davantage) ; d’autre part, le niveau des musiciens est inégal. La qualité musicale du rendu ne peut donc être garantie qu’en divisant l’orchestre en deux sections : le « solo » et le « ripieno » (terme courant à l’époque baroque, et toujours en usage dans la première moitié du XIXe siècle).
Les sections musicales les plus délicates du point de vue de la technique instrumentale ou du timbre sont confiées aux « solistes », cordes et vents ; les « ripienistes » (entre la moitié et les deux tiers de l’orchestre) les rejoignent dans les grands tutti pour renforcer le timbre et la puissance de l’orchestre et assurer la participation de chacun.
Dans ce contexte, les symphonies de Beethoven ont été régulièrement interprétées avec des effectifs de l’ordre de 90 à 150 musiciens. Par exemple, la Symphonie n°5 a été donnée dès 1821 à Magdebourg avec 109 musiciens, et la même année à Cologne avec un orchestre de 158 musiciens ; trois ans après la mort de Beethoven, la même symphonie a été reprise à Düsseldorf avec pas moins de 163 musiciens !
Un certain nombre d’indices concernant la pratique du solo/ripieno sont parvenus jusqu’à nous. D’un point de vue documentaire, cette pratique est attestée dans plusieurs traités d’époque.
La pratique du solo/ripieno est également soulignée dans plusieurs plans de salle de grands concerts d’oratorio, dont une représentation de Timotheus de Haendel en 1812 à Vienne, ou de La Création de Haydn, toujours à Vienne, dans les années 1840. Jonathan del Mar, éditeur scientifique des symphonies de Beethoven chez Bärenreiter, signale l’existence d’une copie de la Symphonie n°5 datant des années 1820, et qui comprend un certain nombre d’indications de solo et tutti.
Bien que cette partition ne soit pas de la main même de Beethoven, celle-ci atteste de cette pratique du vivant de l’auteur, sur son propre répertoire. La Symphonie n°4, elle, est éditée chez Bärenreiter avec des indications de solo/tutti chez les bois qui ont été données par Beethoven lui-même.
Le solo / tutti : Mise en pratique
En général, la division solo/tutti permet de renforcer les oppositions de masse orchestrale, avec des sections piano souvent confiées aux « solistes », et les grands tutti à l’ensemble de l’orchestre.
Aujourd’hui, la pratique du solo/tutti (noté « Réduit » / « Tutti » dans vos partitions) permet de varier les textures orchestrales et de renforcer les contrastes (intensité, timbre).
Sa mise en œuvre implique de réfléchir à trois aspects essentiels : la division numérique de l’orchestre, la délimitation des sections solo et tutti dans la partition et sa disposition sur le plateau.
Division numérique de l’orchestre
Pour cette production autour de la Neuvième symphonie de Beethoven, l’effectif réuni par Insula orchestra est réparti comme suit :
- Les bois sont doublés. Exemple chez les flûtes : flûte 1 solo + flûte 2 solo + flûte 1 tutti + flûte 2 tutti. Dans le dernier mouvement, le piccolo est joué par la flûte 2 tutti, le contrebasson par le basson 2 tutti.
- Les trompettes sont également doublées.
- Le système solo/tutti ne s’appliquera pas aux cordes pour cette fois, en raison d’effectifs trop légers.
Partition
L’examen des annotations de solo et tutti dans les symphonies n°4 et 5 de Beethoven permet de se faire une idée assez claire de leur utilisation.
En général, la division solo/tutti permet de renforcer les oppositions de masse orchestrale, avec des sections piano souvent confiées aux « solistes », et les grands tutti à l’ensemble de l’orchestre.
On remarque également que les sections polyphoniques et contrapuntiques sont plutôt confiées aux « solistes » afin de rendre les lignes plus claires, tandis que l’écriture homorythmique privilégie le tutti.
Le cas des crescendo et decrescendo laisse plus de liberté : on peut choisir, pour un crescendo, de passer en tutti dès le début du crescendo, ou à la fin, ou même progressivement.
Nous avons tâché d’observer les mêmes règles en délimitant les sections solo et tutti dans la Neuvième symphonie de Beethoven. En fonction du rendu en répétition, cette répartition est susceptible d’être modifiée.
Disposition de l'orchestre
Quatre dispositions ont été choisies, chacune en lien avec les caractéristiques musicales du mouvement correspondant.
Quatre dispositions ont été choisies, chacune en lien avec les caractéristiques musicales du mouvement correspondant.
En raison des mesures sanitaires liées à l’épidémie de Covid, les dispositions ont dû être pensées en tenant compte de la distanciation nécessaire entre les musiciens.
Premier mouvement
Pour le premier mouvement, nous nous inspirons de plusieurs sources (dont un traité datant de 1806, Der angehende Musikdirektor, I.F.K. Arnold) indiquant un placement des violoncelles et contrebasses de part et d’autre de l’orchestre.
Cette répartition permet une plus grande proximité des basses avec l’ensemble des musiciens de l’orchestre, et semble appropriée à la pâte orchestrale généreuse et massive du premier mouvement.
Second mouvement
Le second mouvement fait l’objet d’un traitement plus énergique. Héritières des dispositions d’orchestre de théâtre (où le répertoire symphonique avait sa place à l’époque de Beethoven), certaines dispositions confrontent en vis-à-vis le monde des bois et celui des cordes.
Un plan des années 1840, à Dresde, établi précisément pour le concert symphonique, montre clairement cette opposition ; nous avons choisi de le reprendre, en adaptant le carré de bois aux habitudes modernes, à la face cour.
Troisième mouvement
Pour le troisième mouvement, nous travaillons sur une disposition utilisée par l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, là aussi dans les années 1840. Surprise : les violons I sont placés non pas à gauche, mais à droite du chef !
À l’époque, une telle disposition a pu permettre au Konzermeister de s’orienter plus facilement vers l’ensemble de l’orchestre, complétant la direction du chef. L’ensemble des cordes (contrebasses comprises) est rassemblé au sein des premiers rangs ; les vents sont disposés derrière, en ligne, et seront suffisamment surélevés pour leur permettre de bien voir la chef, et seront peut-être appelés à jouer debout.
Cette disposition devrait permettre de mettre en valeur les qualités propres au mouvement lent : texture douce des cordes (avec notamment les violons I tournés non pas vers le public, mais vers l’orchestre), effets d’écho avec les bois, renforts à l’arrière pour les grands tutti, etc.
Quatrième mouvement
Au moment du finale, Insula orchestra revient à sa disposition habituelle, agrémentée d’une disposition « viennoise » des contrebasses à l’arrière du plateau. Le chœur prendra place dans les gradins du public, derrière la scène.
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